lundi 30 juin 2014

Tribulations d'une marron en France.

Statut: Vivre avec un sursis, est-ce vraiment vivre?


Ô douce France.
Tu n'es pas le pays de mon enfance.
Juste celui de mes soirées de gamine,
A m'échauffer  en famille le cerveau devant Julien Lepers.
De mes dimanches à rigoler,
Comme une mandarine finie devant Louis DeFunès.
De mes semaines à me faire marteler du français,
Dans mon petit cerveau d'insulaire.
Des mes années à lire du Mauriac, du Molière
Et à m'extasier devant ces plumes.

Je t'accorde les doigts dans le nez,
Tous tes participes passés.
Je déguste maintenant la bave en filet,
Tous tes fromages coulants.
Je connais (presque) toutes tes régions, tes saisons,
Tes jours fériés et tes traditions.
Je dis dégun et utilise putaing à chaque coin de phrase,
Parce que ton Sud je l'aime.

Je ne te reproche pas mes ancêtres traînés au fond des cales.
J'oublie tes missiés bananias.
Je souris à ceux qui imitent de traviole mon accent.
Ceux qui me disent que je suis noire sans chercher à comprendre l'histoire de mon métissage.
Je n'oublie pas qui je suis.
Je parle toujours en kreol et mon accent teinte ta langue.
Je fais découvrir à tes habitants la cuisine de chez moi.
Je me suis "intégrée"; mon nez ne tombe pas quand il fait froid.
La seule chose que je te demande:
Considère-moi comme un être humain.
Qui arpente tes terres avec bienveillance.
Qui contribue à ton économie et ne te veut aucun mal.

Le rêve français n'est pas l'american dream, il est bien mieux.
Le rêve français, c'est la liberté, l'égalité et la fraternité sous les mêmes cieux.

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J'avais écrit ce texte en 2012, au moment des présidentielles quand une Maryse Joiassins
pétrie de haine n'arrêtait pas de jouer à l'intimidation face aux étrangers.
Cela va faire 7 ans que je vis en France, j'ai contribué à l'économie, je me suis fait des amis, suis tombée amoureuse, ai donné bénévolement de mon temps à presque tous les festivals du coin parce que la 
culture c'est bien, ça rend fort. J'ai développé une opinion politique,  vis en tant que citoyenne. J'ai attendu désespérément le "vote des étrangers" pour les élections locales.
J'ai pensé avoir fait mes preuves. Et peut-être me suis-je sentie trop à l'aise.

Bientôt arrive mon échéance. L'année prochaine je dois faire un titre de séjour spécial salarié.
Je sais d'avance qu'il va m'être refusé car dans les conditions tu peux trouver "Un CDI dans votre filière à 1,5 du SMIC". Comment veux-tu gagner 1,5 du SMIC en bossant dans la culture? D'aucuns te disent que toute acceptation dépend de la sous-préfecture, qu'il y a toujours une chance de pouvoir choper ce graal.

Mais cette immigration demeure sélective et ne prend pas en compte le parcours de la personne mais son 
aptitude à gagner de gros sous, cette immigration qui favorise les étrangers bossant dans la 
finance, dans le secteur du génie civil ou pas. J'ai l'impression que le fait d'avoir choisi de bosser dans la culture me condamne à devoir retourner "là-bas" , "d'où je viens". Mais d'où je viens, le couperet sévit de façon encore plus drastique pour ce secteur. Le patrimoine est à peine préservé, la bibliothèque nationale se meurt. Je ne sais pas si j'ai les forces qu'il faut pour lutter contre tout ça. Avec mes diplômes je me destine à être prof de français au mieux et au pire à faire venir Lara Fabian au Swami Vivekananda Center. Ce n'est pas que je n'ai pas envie de retourner à Maurice, c'est surtout que je n'ai pas envie de quitter tout ce que j'ai construit ici. 

A une époque où toutes les frontières sont abolies par  l'avènement d'internet, où tu peux discuter avec n'importe qui aux quatre coins du monde,
où on est au courant de tout, où la mobilité est portée aux nues, à une époque comme celle-ci, on joue
encore la carte des frontières et du territoire. Nous ne sommes pas tous égaux face à la migration, certaines marchandises circulent de nos jours plus facilement que certains êtres humains. Bientôt périme mon titre de séjour, bientôt va débuter un nouveau combat. Et je demande à nouveau vivre avec un sursis, est-ce vraiment vivre? 


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